Programme 2019

mercredi 25.09   |   jeudi 26.09

DÉSARROI

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Après mai 1968, le « désarroi » social face aux violences policières aurait nourri la méfiance anti-démocratique qui revient dans les troubles récents en France selon L’Express (24 décembre 2018). « Les opposants syriens en plein désarroi après huit ans de guerre civile » – La Croix (2 janvier 2019). À Marseille, le « grand désarroi des sinistrés » urbains frappe le même quotidien, sensible à la précarité (3 janvier 2019). Le « désarroi des députés » devant la violence sociale fait-il écho au temps du radicalisme antiparlementaire – Le Monde (9 janvier 2019) ? Le président Macron face au « désarroi des agriculteurs »  dont un se suicide tous les deux jours dans l’Hexagone – note en ligne Sputnik France (29 mai 2019). « Désarroi face à la nouvelle ‘rechute’ commerciale de Donald Trump » – Le Monde.fr (1er juin 2019). Le spicilège contemporain du désarroi est infini.

Néologisme à la Renaissance, le mot « désarroi » revient à la mode. Dès l’origine, il signifie la « mise en désordre », la « désorganisation ». Individuel ou collectif, il acquiert vite le sens psychique de « trouble moral » ou inquiétude émotive. Creuset d’indécision, de détresse, de désenchantement, de passivité mais aussi a contrario de durcissement défensif issu de la peur.
Né du terrorisme, du déracinement migratoire, du chaos climatique, de la mondialisation économique effrénée ou du vieillissement démographique, le désarroi entérinerait la gouvernance par l’effroi selon Corey Robin dans La Peur, une histoire politique (2006 ; USA : 2004). Sous la République de Weimar, Walter Benjamin évoquait déjà l’éruption émotionnelle du Léviathan ultra-autoritaire quand la peur et le désarroi guident l’incertitude politique et la faille démocratique (Cités, No 74, 2018 – Walter Benjamin Politique).
Le désarroi désignerait ainsi les alarmes d’une génération et la déroute d’une société qui brade les valeurs fondatrices de sa culture politique et juridique. Dans son lumineux Désarroi de notre temps, Simone Weil ressent les prémices de la catastrophe dans le désarroi social et moral de la fin des années 1930. Serions-nous à l’aube d’une génération du désarroi dans les termes de Simone Weil ? Le populisme en est-il le signe précurseur ?

Selon Massimo Cacciari et Paolo Prodi, la « prophétie utopique » est soudée à l’ethos démocratique comme aspiration universaliste à la cité du bien (Occidente senza utopia, 2016 ; non traduit en français). En temps de désarroi, s’imposent le goût et l’imaginaire de la dystopie à voir l’actuel engouement pour 1984 de George Orwell.
Pour le sociologue polono-britannique Zygmunt Bauman, le désarroi culmine en effet lorsque la fatigue utopique ramène à la « rétrotopie » ou régénération des modèles du passé (Retrotopia, 2017). A contrario, pour le néerlandais Rutger Bregman, notre temps du désarroi favorise l’application des « utopies réalistes » de la social-démocratie contre le nationalisme, la précarité et l’inégalité et pour la citoyenneté mondiale, l’économie verte et le revenu universel (Les utopies réalistes, 2017 ; néerlandais, 2014).

Si les sciences humaines peinent à qualifier la spécificité et la complexité du « moment » actuel avec les incertitudes politico-sociales qui attisent maintes peurs individuelles et collectives, est-il vain d’ouvrir une conversation publique sur le désarroi afin de penser le monde qui vient ?

Michel Porret.
Président des Rencontres internationales de Genève.

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Mercredi 25 septembre

Mot d’ouverture

Par Michel Porret (UNIGE), Président des Rencontres internationales de Genève

18h30 – ENTRÉE LIBRE – UNI DUFOUR, AUDITOIRE JEAN PIAGET   [voir la carte]

Antoine VOLODINE

Conférence de Antoine VOLODINE

« Désarroi »

18h45 – ENTRÉE LIBRE – UNI DUFOUR, AUDITOIRE JEAN PIAGET   [voir la carte]

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Être en désarroi n’est pas simplement une indignation, un choc ou un chagrin. C’est ne pas pouvoir concevoir de réponse face à l’inadmissible ou au malheur. S’inspirant de l’œuvre post-exotique, de ses nombreuses voix et du chant choral des prisonniers et des prisonnières qui se situent en son centre, nous essayons ici d’explorer le désarroi existentiel, le désarroi fondamental sur quoi s’est construit l’édifice poétique dont se réclament Manuela Draeger, Lutz Bassmann, Elli Kronauer et Antoine Volodine. La fin des espoirs révolutionnaires qui brillaient jusque dans les années 70 du XXè siècle, puis la disparition de l’URSS, ont créé chez les écrivains, poètes, chamanes et illuminés post-exotiques un vide qui auraient pu les contraindre à se taire, un vide mortel. C’est par la parole littéraire et le rêve qu’ils ont réussi à contourner ce vide, trouvant non des réponses à l’impensé, à l’inconcevable, mais une tactique de survie intellectuelle, entre mort et folie.
 
Antoine VOLODINE construit depuis plus de trente ans une œuvre « collective » qui échappe à toute classification. Il nomme ce projet « post-exotisme » et explique qu’il s’agit de construire un vaste édifice romanesque, témoin d’une littérature carcérale écrite à plusieurs voix, « venant de l’ailleurs et allant vers l’ailleurs ». Au cœur de cet édifice se place une prison imaginaire dans laquelle d’anciens guerriers de la révolution, hommes et femmes, échangent des souvenirs de défaite, des récits de rêve, des fragments d’opéra, d’épopées, des images qui sont la matière des romans qui paraissent à l’extérieur des murs. Plusieurs auteurs post-exotiques se font connaître dans le réel du monde éditorial : Antoine Volodine, leur porte-parole, mais aussi Elli Kronauer, Manuela Draeger, Lutz Bassmann. Chacun avec son univers poétique personnel et ses éditeurs attitrés participe à la mise en scène d’un ensemble où interviennent des écrivains marginaux, des victimes de génocides, des chamanes, des malades mentaux et des animaux dotés de parole. Derrière la violence et le fantastique des situations, les narrateurs toujours s’interrogent sur les désastres historiques contemporains, sur les échecs de l’humanisme, les personnages cherchent l’apaisement, l’illumination amoureuse et la fin de leur cauchemar.

Parmi les plus de quarante ouvrages qui ont balisé le chemin littéraire du post-exotisme, citons ici Des anges mineurs (prix du Livre Inter 2000), Terminus radieux (prix Medicis 2014), mais aussi Frères sorcières (Volodine, 2019), Onze rêves de suie (Manuela Draeger, 2010), Les aigles puent (Lutz Bassmann, 2010).

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Regards croisés

Avec Pascal ENGEL (EHESS), Nathalie PIÉGAY (UNIGE) et François ROSSET (UNIL)

19h45 – ENTRÉE LIBRE – UNI DUFOUR, AUDITOIRE JEAN PIAGET   [voir la carte]

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Pascal EngelPascal ENGEL, ancien élève de l’ENS rue d’Ulm, a fait un doctorat à l’Université de Paris I et un doctorat d’Etat à Aix en Provence. Il a enseigné aux universités de Paris XII, Grenoble, Caen, Paris-Sorbonne et de Genève. Il a été professeur invité notamment à Montréal, Hong Kong, Tunis, Athènes, Aarrhus, Canberra, Oslo, Nottingham, Leuven, Lund, Saint Louis. Il a été membre notamment de Rationalités contemporaines à Paris IV, du CREA à l’Ecole polytechnique, de l’Institut Jean Nicod et du groupe Epistémè à Genève. Il est secrétaire général de l’Institut international de philosophie et membre de l’Academia Europaea. Ses travaux ont porté sur la philosophie de la logique et du langage, en particulier sur Davidson, et sur la philosophie de l’esprit et de la connaissance. Ses intérêts actuels portent sur la vérité, les normes épistémiques, la nature de la croyance. Il est l’auteur notamment de La norme du vrai (1989), Davidson et la philosophie du langage (1994), Introduction à la philosophie de l’esprit (1994), Philosophie et psychologie (1996), Truth (2002), Va savoir! (2007) , Les lois de l ‘esprit (2012). Il a été éditeur de dialectica de 2005 à 2011. Depuis 2012 il est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et membre du CRAL. Son dernier livre est Les vices du savoir, essai d’étique intellectuelle (2019).
 

Nathalie PiégayNathalie PIÉGAY, professeure ordinaire à l’Université de Genève, est spécialiste de littérature française moderne et contemporaine. Ses travaux portent sur la fiction, la théorie littéraire et les liens du récit contemporain au savoir, à l’histoire et aux archives. Elle a publié des études sur Claude Simon, Aragon, Robert Pinget, en particulier.
 

François RossetFrançois ROSSET est professeur ordinaire de littérature française à l’Université de Lausanne. Il a publié une trentaine de livres et près de deux cents articles scientifiques. Ses travaux, dont on trouve des traductions dans neuf langues, concernent principalement les variations de la fiction narrative européenne au XVIIIe siècle, avec un accent particulier sur des auteurs comme Jean Potocki, Benjamin Constant, Germaine de Staël, mais également la culture littéraire en Suisse romande au temps des Lumières, ainsi que les rapports culturels et symboliques entre la Pologne et la France. Il a également traduit du polonais plusieurs romans, nouvelles, essais et dirigé l’édition française du Panorama de la poésie polonaise du XXe siècle (Noir sur Blanc, 2000, 2 vol.).

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Jeudi 26 septembre

Silent Mist

Projection du film

« Silent Mist »

De Miaoyan Zhang, 2017, Chine-France, 101 min, VO sous-titres en anglais.

18h30 – ENTRÉE LIBRE   [sur réservation]
CINÉMAS DU GRÜTLI, SALLE FONCTION: CINÉMA   [voir la carte]

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Dans une petite ville de ruelles et de canaux aux allures de Venise chinoise, un violeur se cache dans l’ombre. S’inspirant de crimes réels, Zhang Miaoyan dénonce la passivité complaisante d’une société patriarcale corrompue qui demeure obstinément silencieuse face à la violence subie par les femmes.
Silent Mist nous emporte dans un univers trouble et brumeux, où tout le monde voit tout mais où personne ne dit rien. Protagonistes comme spectateurs perdent tous repères dans cette cité hors du temps, à laquelle les lents travellings qui rythment le film donnent des allures de labyrinthe fantomatique.

Projection suivie d’un débat animé par Cerise Dumont (UNIGE).

Cerise DUMONTCerise Dumont est née à Genève en 1993. Elle étudie actuellement l’histoire de l’art et l’anthropologie. Passionnée de cinéma, elle s’engage dans le ciné-club universitaire (CCU) de Genève en 2015, et elle publie divers articles pour la revue. Elle organise en outre le cycle de films Viølences. Le nouveau cinéma danois en 2018. Elle collabore également au festival Histoire et Cité et s’engage comme bénévole dans le festival de cinéma Black Movie depuis plusieurs années.

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