Femmes et hommes, hommes et femmes : ordre alphabétique ? ordre habituel du monde « patriarcal » ? On choisira selon son goût, sa sensibilité, sa foi, son idéologie ou son idéal politique. L’agencement des mots réverbère les choses en ébauchant les imaginaires sociaux et les « idées-images » des représentations. Or, l’égalité « femmes/hommes – hommes/femmes » est présentement à l’agenda politico-économique mais aussi juridique avec le double enjeu des parités salariale et professionnelle. Les militant·e·s, l’État social-démocrate, les institutions, les intellectuel·le·s, les individus et l’opinion reconsidèrent les rôles dans le prisme du genre, soit l’ensemble des fonctions sociales jouées par la femme et l’homme, tout particulièrement autour de la sexualité conjugale longtemps soumise à la stricte reproduction biologique de la famille qui prohibait la « paillardise » soit le rapport sexuel hors du lien matrimonial.
Aujourd’hui, comme dans un jeu de cartes où le roi de chaque couleur l’emporte toujours sur la reine de chaque coloration, se noue le dessein complexe de redistribuer celles des femmes et celles des hommes. Rebattre sur table les cartes des rôles sociaux afin de mitiger les dominations concrètes et symboliques entre les sexes. Mais aussi pour infléchir les tutelles matérielles ou morales visibles. Ainsi que les invisibles, tout aussi puissantes, à l’instar des préjugés moraux, des interdits religieux, des normes juridiques et de l’habitus social. Dorénavant, l’assassinat des femmes est requalifié de « féminicide ». En résulte la motivation morale du reflux controversé de la prescription pénale, dans la même logique de rétribution du viol ou encore du massacre des enfants par les adultes dévoyés qui reproduisent l’amalgame entre désir et puissance du mal.
Volontarisme juridique, éducation et contrat social : cela suffit-il pour contenir les normes discriminatoires fondées durablement sur le sexe dans l’héritage bourgeois des sociétés traditionnelles d’avant l’État libéral et démocratique qui peine à s’en dissocier ? Semblable à l’éradication planétaire de la pauvreté ou à la généralisation du revenu universel, émerge peut-être une autre « utopie réaliste », celle de l’égalité genrée (Rutger Bregman, Utopies réalistes, Seuil, 2017).
Au temps des « nouvelles radicalités féministes » (#MeToo, #NiUnaMenos, #TimesU, #UnVioladorEnTuCamino) la contestation constitutive et émotionnelle du patriarcat culmine, tout autour de la planète, dans les manifestations spectaculaires et parfois d’inversion carnavalesque pour les droits des femmes ou contre l’impunité de la prédation sexuelle des mâles comme dispositif suprématiste. Si ce contexte évoque les « révoltes logiques » des années 1970, la session des RIG de septembre 2020 sondera et évoquera le bouleversement des rapports ordinaires entre les deux sexes, singulièrement complexes dans le cadre confessionnel des sociétés non sécularisées.
Maillon fort de la démocratie universitaire, les sciences humaines permettent de donner du sens aux faits. Le mieux possible selon les questions du temps présent, la déontologie herméneutique et l’esprit critique que réverbèrent les Rencontres internationales de Genève. De plus, les sciences humaines fournissent l’outillage conceptuel pour décoder l’univers mental des représentations sociales conservatrices ou inauguratrices. L’histoire, la sociologie, le droit ainsi que la littérature questionnent les liaisons anthropologiques et politiques des deux sexes entre domination, égalité et énoncé du désir.
Femmes et hommes, nouveaux rapports ? : autour de la dialectique genrée, la conversation publique que mèneront Belinda Cannone, Antoine Garapon, Eva Illouz et Fatma Oussedik entrouvre une fenêtre sur le monde sensible de demain. Outre l’évolution statistique de la parité institutionnelle ou salariale, de quelle manière doit-on envisager la perfectible mutation socio-culturelle des normes, des pratiques, des représentations et des seuils de tolérance entre les humains des deux sexes sans gommer l’empire du droit ni la différence ontologique et parfois orageuse qui les unit ? Trop oubliée, l’écrivaine suédoise Karin Boye (1900-1941) pointe l’énergie tyrannique du naturalisme égalitaire dans le chef d’œuvre dystopique La Kallocaïne, autopsie lucide du totalitarisme panoptical et hallucinatoire de l’« État mondial » (1941, Éditions Ombres, 2014).
En 2020, fidèle au libéralisme juridique des Lumières, la grande question politique de la démocratie reste peut-être celle du nécessaire mais fortuit changement des rapports humains et des liens sociaux entre les femmes et les hommes. Dont ceux funestes du machisme ordinaire et de la « domination masculine » (Pierre Bourdieu) que les poignantes Thelma et Louise tentent de contrer au prix de la vie dans le road-movie féminin/féministe Thelma & Louise (1991) de Ridley Scott projeté durant la session de cette année avec Jusqu’à la garde de Xavier Legrand (2017) sur le dilemme insoluble de la garde partagée ou exclusive des enfants de couples déchirés.
Or, sur l’horizon d’attente de l’existence, reste vivace l’irréductible désir demeuré désir. Dans la liesse séductrice de loyaux ennemis ou alliés entrelacés se noue et se dénoue le pacte amoureux toujours recommencé : « C’était au début d’adorables années. La terre nous aimait un peu je me souviens » (René Char, « Évadé », Seuls demeurent, 1938-1944). La reine de cœur doit- elle une fois l’emporter sur le roi de cœur ?
Michel Porret
Président des Rencontres internationales de Genève
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Affiche RIG 2020
« Femmes-Hommes : nouveaux rapports ? »
Graphisme : Chris Gautschi