56e session / 26 – 27 septembre 2023

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Avec Aurélien Barrau et Marion Muller-Colard.

En 2023, ne peut-on évaluer le futur que sous la forme désespérée et dystopique du pire des mondes possibles ? Guerre impérialiste du président W. Poutine en Ukraine, militarisme qui enfle journellement, surchauffe climatique où se nouent d’innombrables tragédies : tout pèse sur l’avenir. Tout semble le ramener au mal. Le monde de demain – celui de nos enfants, celui où les glaciers ancestraux de l’Himalaya ne seront que des vestiges, celui de l’illibéralisme et du populisme autoritaires, celui où des hordes de déracinés sans espoir affronteront le struggle for life des nantis – est empli d’incertitudes sociales, géopolitiques et écologiques.
Fidèles à l’humanisme critique où s’enracinent les Rencontres internationales de Genève, nous devons pourtant formuler des espérances de transition pour le meilleur des mondes possibles. Tirons des salves d’espoir pour raviver le goût des Lumières.
Comment renouer avec le paradigme, voire le récit décrié, de l’« histoire-progrès » ? Ce concept est-il encore acceptable ? Quels sont les termes du nouveau contrat social en démocratie ? Comment ne pas désenchanter les générations montantes ? Celles en désarroi. Celles qu’écrasent le présentisme de la catastrophe annoncée, des réseaux sociaux qui minent la fermeté de la pensée et des savoirs constitués. Celles de l’individualisme et du radicalisme identitaire. Parmi d’autres, de vaines questions ? Ou alors, les voies complexes pour tenter de… reconstruire le bien.

Michel Porret
Président des Rencontres internationales de Genève

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Affiche RIG 2023
« Reconstruire le bien »
Graphisme : Chris Gautschi

55e session / 26 – 29 septembre 2022

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Avec Ivan Krastev, Anne Nivat, Antonio Scurati et Barbara Stiegler.

Le ressentiment amalgame la rancune et l’animosité envers ce qui est désigné comme la source d’un préjudice, d’un mal subi, d’une humiliation réelle ou ressentie, d’une injustice. Au plan individuel, le ressentiment embrase la jalousie et les conflits, affermit l’agressivité, décuple la haine. Collectivement, le ressentiment attise les griefs contre les institutions, le régime politique, les étrangers identifiés à l’altérité inassimilable. Des prophètes populistes et des dirigeants messianiques instrumentalisent le ressentiment pour mobiliser les foules dans l’intolérance confessionnelle, la revanche politique contre les « privilégiés », la dénonciation de « boucs-émissaires », la brutalisation sociale, le nationalisme belliciste, la xénophobie, le durcissement identitaire.
Guerres de religion, révolutions, régimes autoritaires et totalitaires, conflits mondiaux, Shoah : maintes fois, le ressentiment a mis le monde au bord de l’« apocalypse » et du « désapprentissage de la civilisation » comme l’illustrent au XXe siècle, après la saignée de la Grande guerre, la « révolution » fasciste en Italie, le stalinisme, le joug antisémite du nazisme exterminateur, les effrayantes guerres coloniales.
Désarroi politique et social, émotion individuelle et émoi collectif : l’assemblage de griefs antilibéraux instaure aujourd’hui l’offensive autoritaire contre la modernité démocratique héritée des Lumières et les droits individuels dans la vie privée. Comment saisir autrement le tournant conservateur de la Cour suprême qui « attaque les piliers progressistes des États-Unis » ? Quel périmètre au ressentiment anti-démocratique dans la guerre Russe en Ukraine ?
À l’orée d’un monde globalisé empli de nouveaux périls militaires, antilibéraux, climatiques et pandémiques, comment la démocratie peut-elle combattre la culture politique du ressentiment qui la sape ?

Michel Porret
Président des Rencontres internationales de Genève

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Affiche RIG 2022
« Ressentiment. Périls et espoirs démocratiques »
Graphisme : Chris Gautschi

27 et 29 septembre 2021 « Embellie ? »

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Avec Krzysztof Warlikowski, Anne Bisang, Izabella Pluta, Eric Eigenmann, Patrick Chappatte, Hélène Becquelin et Mirjana Farkas.

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L’embellie est l’amélioration momentanée du temps météorologique après la bourrasque, la trombe d’eau ou le coup de vent opiniâtre. La retombée du vent accompagne l’éclaircie. Le navire attend l’embellie pour passer la barre. Est-elle d’actualité ? Aujourd’hui, l’ouragan semble perpétuel. Des États-Unis à la Méditerranée, la planète flambe. Dans le raffermissement inexorable du mal et du désordre climatique, après l’épreuve du terrorisme de masse, les milliers d’hectares de vie qui crépitent alourdissent la quatrième vague pandémique et la tragédie des réfugié·e·s que le désespoir déracine. Ce passé spectral et ce présent de la catastrophe permettront-ils de repenser l’avenir pour le sauver ?

Dans l’attente d’une embellie durable, celle plus brève des Rencontres internationales de Genève reste depuis un demi-siècle un lieu public de pensée humaniste et d’échanges intellectuels. Moins étalage d’érudition et de savoirs détachés du réel que posture collective ou individuelle de sa transformation pour un monde meilleur, la culture écrite, visuelle et plastique offre les conditions renouvelées d’embellie intime, existentielle et sociale. Entre passé et présent, le salut est là.

Or, « il y a beaucoup à faire » selon notre invité Krzysztof Warlikowski, metteur en scène polonais de théâtre et d’opéra, directeur du Nowy Teatr de Varsovie qu’il a fondé en 2008. Depuis une vingtaine d’année, élève de Krystian Lupa et ancien assistant de Peter Brook, Krzysztof Warlikowski, refonde le langage théâtral dans le prisme contemporain des cultures visuelles du cinéma et de la vidéo. Sans « papotages sur l’espoir », ancrée dans l’imaginaire social du désenchantement et de l’amnésie culturelle, son œuvre de la fulgurance et de l’inquiétude réverbère et sollicite la société contemporaine qui « triche » et qui ne « veut plus penser » alors que l’Europe est hantée par les spectres de son histoire la plus sombre (« On s’en va », entretien avec Krzysztof Warlikowski, Théâtre de Chaillot, 10 avril 2019).

Hic et nunc : il s’agit pourtant de « rester » attentif dans le travail libérateur de la pensée et de la création que prennent aussi les formes visuelles du dessin de presse selon Patrick Chappatte et de la bande dessinée selon Hélène Becquelin. Depuis la fin du XIXe siècle au moins, à l’instar des arts plastiques, de la musique, de la littérature, du théâtre, de l’opéra et du cinéma, ce langage contemporain de nos deux autres invités reste bien en prise avec le réel comme l’a montré la tragédie de Charlie Hebdo (7 janvier 2015). Entre deux embellies, dans le foisonnement universel des cultures urbaines les plus diverses et les plus cosmopolites, reste béante la « question du bien qui ne sera jamais résolue » (Alex Kahn, Et le Bien dans tout ça ?, Paris, Stock, 2021, p. 354). Avec la cité, avec nos invités, nous nous réjouissons de partager le temps vespéral d’une belle et fraternelle embellie intellectuelle.

Michel Porret
Président des Rencontres internationales de Genève

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Affiche RIG 2021
« Embellie ? »
Graphisme : Chris Gautschi & Dennis Moya

22-25 sept. 2020 « Femmes-Hommes : nouveaux rapports ? »

Femmes et hommes, hommes et femmes : ordre alphabétique ? ordre habituel du monde « patriarcal » ? On choisira selon son goût, sa sensibilité, sa foi, son idéologie ou son idéal politique. L’agencement des mots réverbère les choses en ébauchant les imaginaires sociaux et les « idées-images » des représentations. Or, l’égalité « femmes/hommes – hommes/femmes » est présentement à l’agenda politico-économique mais aussi juridique avec le double enjeu des parités salariale et professionnelle. Les militant·e·s, l’État social-démocrate, les institutions, les intellectuel·le·s, les individus et l’opinion reconsidèrent les rôles dans le prisme du genre, soit l’ensemble des fonctions sociales jouées par la femme et l’homme, tout particulièrement autour de la sexualité conjugale longtemps soumise à la stricte reproduction biologique de la famille qui prohibait la « paillardise » soit le rapport sexuel hors du lien matrimonial.

Aujourd’hui, comme dans un jeu de cartes où le roi de chaque couleur l’emporte toujours sur la reine de chaque coloration, se noue le dessein complexe de redistribuer celles des femmes et celles des hommes. Rebattre sur table les cartes des rôles sociaux afin de mitiger les dominations concrètes et symboliques entre les sexes. Mais aussi pour infléchir les tutelles matérielles ou morales visibles. Ainsi que les invisibles, tout aussi puissantes, à l’instar des préjugés moraux, des interdits religieux, des normes juridiques et de l’habitus social. Dorénavant, l’assassinat des femmes est requalifié de « féminicide ». En résulte la motivation morale du reflux controversé de la prescription pénale, dans la même logique de rétribution du viol ou encore du massacre des enfants par les adultes dévoyés qui reproduisent l’amalgame entre désir et puissance du mal.

Volontarisme juridique, éducation et contrat social : cela suffit-il pour contenir les normes discriminatoires fondées durablement sur le sexe dans l’héritage bourgeois des sociétés traditionnelles d’avant l’État libéral et démocratique qui peine à s’en dissocier ? Semblable à l’éradication planétaire de la pauvreté ou à la généralisation du revenu universel, émerge peut-être une autre « utopie réaliste », celle de l’égalité genrée (Rutger Bregman, Utopies réalistes, Seuil, 2017).

Au temps des « nouvelles radicalités féministes » (#MeToo, #NiUnaMenos, #TimesU, #UnVioladorEnTuCamino) la contestation constitutive et émotionnelle du patriarcat culmine, tout autour de la planète, dans les manifestations spectaculaires et parfois d’inversion carnavalesque pour les droits des femmes ou contre l’impunité de la prédation sexuelle des mâles comme dispositif suprématiste. Si ce contexte évoque les « révoltes logiques » des années 1970, la session des RIG de septembre 2020 sondera et évoquera le bouleversement des rapports ordinaires entre les deux sexes, singulièrement complexes dans le cadre confessionnel des sociétés non sécularisées.

Maillon fort de la démocratie universitaire, les sciences humaines permettent de donner du sens aux faits. Le mieux possible selon les questions du temps présent, la déontologie herméneutique et l’esprit critique que réverbèrent les Rencontres internationales de Genève. De plus, les sciences humaines fournissent l’outillage conceptuel pour décoder l’univers mental des représentations sociales conservatrices ou inauguratrices. L’histoire, la sociologie, le droit ainsi que la littérature questionnent les liaisons anthropologiques et politiques des deux sexes entre domination, égalité et énoncé du désir.

Femmes et hommes, nouveaux rapports ? : autour de la dialectique genrée, la conversation publique que mèneront Belinda Cannone, Antoine Garapon, Eva Illouz et Fatma Oussedik entrouvre une fenêtre sur le monde sensible de demain. Outre l’évolution statistique de la parité institutionnelle ou salariale, de quelle manière doit-on envisager la perfectible mutation socio-culturelle des normes, des pratiques, des représentations et des seuils de tolérance entre les humains des deux sexes sans gommer l’empire du droit ni la différence ontologique et parfois orageuse qui les unit ? Trop oubliée, l’écrivaine suédoise Karin Boye (1900-1941) pointe l’énergie tyrannique du naturalisme égalitaire dans le chef d’œuvre dystopique La Kallocaïne, autopsie lucide du totalitarisme panoptical et hallucinatoire de l’« État mondial » (1941, Éditions Ombres, 2014).

En 2020, fidèle au libéralisme juridique des Lumières, la grande question politique de la démocratie reste peut-être celle du nécessaire mais fortuit changement des rapports humains et des liens sociaux entre les femmes et les hommes. Dont ceux funestes du machisme ordinaire et de la « domination masculine » (Pierre Bourdieu) que les poignantes Thelma et Louise tentent de contrer au prix de la vie dans le road-movie féminin/féministe Thelma & Louise (1991) de Ridley Scott projeté durant la session de cette année avec Jusqu’à la garde de Xavier Legrand (2017) sur le dilemme insoluble de la garde partagée ou exclusive des enfants de couples déchirés.

Or, sur l’horizon d’attente de l’existence, reste vivace l’irréductible désir demeuré désir. Dans la liesse séductrice de loyaux ennemis ou alliés entrelacés se noue et se dénoue le pacte amoureux toujours recommencé : « C’était au début d’adorables années. La terre nous aimait un peu je me souviens » (René Char, « Évadé », Seuls demeurent, 1938-1944). La reine de cœur doit- elle une fois l’emporter sur le roi de cœur ?

Michel Porret
Président des Rencontres internationales de Genève

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RIG-affiche-2020-femmes-hommes-Chris-Gautschi

Affiche RIG 2020
« Femmes-Hommes : nouveaux rapports ? »
Graphisme : Chris Gautschi

25-26 septembre 2019 : Désarroi

Après mai 1968, le « désarroi » social face aux violences policières aurait nourri la méfiance anti-démocratique qui revient dans les troubles récents en France selon L’Express (24 décembre 2018). « Les opposants syriens en plein désarroi après huit ans de guerre civile » – La Croix (2 janvier 2019). À Marseille, le « grand désarroi des sinistrés » urbains frappe le même quotidien, sensible à la précarité (3 janvier 2019). Le « désarroi des députés » devant la violence sociale fait-il écho au temps du radicalisme antiparlementaire – Le Monde (9 janvier 2019) ? Le président Macron face au « désarroi des agriculteurs »  dont un se suicide tous les deux jours dans l’Hexagone – note en ligne Sputnik France (29 mai 2019). « Désarroi face à la nouvelle ‘rechute’ commerciale de Donald Trump » – Le Monde.fr (1er juin 2019). Le spicilège contemporain du désarroi est infini.

Néologisme à la Renaissance, le mot « désarroi » revient à la mode. Dès l’origine, il signifie la « mise en désordre », la « désorganisation ». Individuel ou collectif, il acquiert vite le sens psychique de « trouble moral » ou inquiétude émotive. Creuset d’indécision, de détresse, de désenchantement, de passivité mais aussi a contrario de durcissement défensif issu de la peur.
Né du terrorisme, du déracinement migratoire, du chaos climatique, de la mondialisation économique effrénée ou du vieillissement démographique, le désarroi entérinerait la gouvernance par l’effroi selon Corey Robin dans La Peur, une histoire politique (2006 ; USA : 2004). Sous la République de Weimar, Walter Benjamin évoquait déjà l’éruption émotionnelle du Léviathan ultra-autoritaire quand la peur et le désarroi guident l’incertitude politique et la faille démocratique (Cités, No 74, 2018 – Walter Benjamin Politique).
Le désarroi désignerait ainsi les alarmes d’une génération et la déroute d’une société qui brade les valeurs fondatrices de sa culture politique et juridique. Dans son lumineux Désarroi de notre temps, Simone Weil ressent les prémices de la catastrophe dans le désarroi social et moral de la fin des années 1930. Serions-nous à l’aube d’une génération du désarroi dans les termes de Simone Weil ? Le populisme en est-il le signe précurseur ?

Selon Massimo Cacciari et Paolo Prodi, la « prophétie utopique » est soudée à l’ethos démocratique comme aspiration universaliste à la cité du bien (Occidente senza utopia, 2016 ; non traduit en français). En temps de désarroi, s’imposent le goût et l’imaginaire de la dystopie à voir l’actuel engouement pour 1984 de George Orwell.
Pour le sociologue polono-britannique Zygmunt Bauman, le désarroi culmine en effet lorsque la fatigue utopique ramène à la « rétrotopie » ou régénération des modèles du passé (Retrotopia, 2017). A contrario, pour le néerlandais Rutger Bregman, notre temps du désarroi favorise l’application des « utopies réalistes » de la social-démocratie contre le nationalisme, la précarité et l’inégalité et pour la citoyenneté mondiale, l’économie verte et le revenu universel (Les utopies réalistes, 2017 ; néerlandais, 2014).

Si les sciences humaines peinent à qualifier la spécificité et la complexité du « moment » actuel avec les incertitudes politico-sociales qui attisent maintes peurs individuelles et collectives, est-il vain d’ouvrir une conversation publique sur le désarroi afin de penser le monde qui vient ?

Michel Porret
Président des Rencontres internationales de Genève

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Affiche RIG 2019
« Désarroi »
Graphisme : Chris Gautschi

Découvrez les publications de la collection « Achevé d’imprimer »

Depuis 2016, les textes des intervenants ayant participé aux sessions des Rencontres internationales de Genève sont compilés dans des publications de la collection Achevé d’imprimer (Editions Georg).

2016 « Fictions : penser le monde par la littérature« 

Fictions-Rencontres-internationales-Genève-2016-publication

Erri De Luca
La chute comme expérience du salut

Petros Markaris
Aller ailleurs et regarder ailleurs

Kim Thuy
La fiction, une réalité sans frontières

Boualem Sansal
Ecrire dans la violence du monde

Liminaire par Michel Porret

2017 « Résister, écrire, imaginer« 
Résister-Ecrire-Imaginer-Rencontres-internationales-Genève-2017-publication

Préambule par Michel Porret
L’imagination en majesté

Patrizia Lombardo
Alberto Manguel : un écrivain qui aime les livres

Alberto Manguel
La méthode de Schéhérazade ou les pouvoirs de la fiction

Alberto Manguel
Les enfants de Schéhérazade ou les devoirs de la fiction

Bahiyyih Nakhjavani
Résister, écrire, imaginer : réponse à la méthode de Schéhérazade

2018 « Exils et refuges« 
Exils-et-refuges-Rencontres-internationales-Genève-2018-publication

Liminaire par Michel Porret
La nation des exilés

Michel Agier
Hospitalité et cosmopolitique

Akira Mizubayashi
Vivre en exilé linguistique, aller au-delà des limites de son monde

Catherine Wihtol de Wenden
Hommes et migrations, crise des migrations ou crise des politiques d’asile et leurs effets sur les territoires d’accueil

George Nivat, Hommage à Jean Starobinski

Vincent Monnet, Jean Starobinski quitte la beauté du monde

Jean Starobinski (1920-2019) et les Rencontres internationales de Genève

Hommage à Jean Starobinski

par Georges Nivat

On finissait par oublier son âge : Jean Starobinski était d’une éternelle jeunesse. Une jeunesse attribuée par les dieux, les dieux grecs, Athéna sûrement, mais aussi Asclépios, le dieu auquel Socrate dédia ses derniers mots. Car il était médecin, philologue, pianiste, et en toute chose connaissait la divine « mesure », celle qui attribue aux hommes et à leurs actes l’harmonie intérieure. Dès 1972 il m’accueillit aussi bien à la Faculté qu’à son domicile, juste en face : il y avait le rez de la rue de Candolle, avec le cabinet de Jacqueline, son épouse, ophtalmo à qui je confiai mes yeux, et son cabinet à lui, jonché de livres, plus un étage où l’on montait par un colimaçon, logis toujours accueillant, quoiqu’avec austérité. Et puis, troisième lieu d’accueil, mais lieu symbolique : les Rencontres Internationales de Genève – ces « RIG », au mystérieux sigle presque balto-slave.
Il fut des premières Rencontres, qui dans les ruines de l’Europe tentèrent de définir « l’esprit européen », et quand le jeune assistant prend la parole, d’emblée on sent l’ampleur réflexive qui marque son discours, sans redites, sans trébuchement, comme s’il lisait à haute voix une partition. Après quoi, pendant plus de trente années, portant les Rencontres sur ses épaules, il en fut l’âme, le temps entier d’une génération, la « génération Staro ».
Il m’y fit entrer dès mon arrivée à Genève, pour mon bonheur. Il présidait nos discussions avec la sagesse d’Athéna et une bibliothèque de Babel dans la tête (sans internet). Toujours doux, mais d’une douceur qui pouvait être manœuvrière, évitant les heurts dans un petit groupe qui cherchait la vérité. Il fallait le bien connaître, mais on le devinait parfois animé par « les raisins de la colère ».
En 1946 donc, il est là, à côté de Benda, Bernanos, Jaspers, Lukács. Et à ceux qui proclament trop vite « l’esprit européen », il objecte  : « Europe et anti-Europe ne font qu’un » – paroles plus vraies que jamais ! Néanmoins, c’était toute l’Europe pensante qu’il pouvait convoquer à sa guise, et nous en profitâmes tous, à Genève, pendant toute l’époque de Starobinski. D‘intimes amis, comme Yves Bonnefoy, vinrent trois ou quatre fois à son appel – pour définir la séparation qui enclôt l’homme moderne, et tenter de trouver la libération dans une quête poétique humble et inquiète.
N’oublions pas que dans la grande mue de l’essai littéraire qui devient avec Raymond, Rousset, Rougemont, Starobinski et toute « l’école de Genève », un genre majeur, il y a la musique. Les premières Rencontres duraient deux semaines, comportaient des opéras, Ansermet était une des deux colonnes, Starobinski était l’autre. Et un de ses derniers ouvrages, les Enchanteresses, porte sur la magie de l’opéra, sur l’invraisemblance du libretto qui donne sa grande liberté à Mozart.
Une liberté qui, au fond, animait votre immense et musical texte de critique créatrice, cher Jean, et que vous nous avez léguée. En particulier dans ces RIG qui, pour ceux de mon âge, ont, avant tout, été une rencontre avec vous.

Georges Nivat, Président honoraire des RIG
Genève, le 24 mars 2019

RIG_1975

 

Starobinski_RIG_1975En mémoire

En 2010, Pierre Nora, de l’Académie française, prononçait cet éloge de Jean Starobinski ;

[…] Le lien le plus fécond entre Genève et vous, c’est cependant dans les Rencontres internationales qu’il faut le chercher. Vous les avez présidées pendant trente ans, de 1965 à 1995, après avoir appartenu à leur comité organisateur dès 1949, une charge que vous assumez, dites-vous, comme une «dette publique». Elles ont donc occupé une grande partie de votre vie, en même temps qu’elles ont contribué à faire de Genève une capitale intellectuelle de l’Europe.

L’Europe: c’est loin d’avoir été le thème unique des Rencontres qui se sont donné pour programme tous les aspects de la civilisation contemporaine, lettres, arts, sciences, économie, philosophie. Mais l’Europe dans ses différents états, ses rapports au passé et sa conscience de soi, a été probablement le thème central et l’horizon permanent. Elle est la raison d’être des premières Rencontres qui ne pouvaient se tenir que là, en 1946, au milieu d’un continent dévasté, dans ce pays resté neutre et cette ville à vocation internationale. Elles donnent le ton, avec des personnalités aussi marquantes que Georges Bernanos, Karl Jaspers, Georg Lukács et Raymond Aron. Vous y êtes, je crois, Jean, tout jeune homme, le seul à évoquer l’extermination des juifs. Vous y rencontrez des hommes comme Denis de Rougemont, Gaëtan Picon, Eugenio Montale, que vous n’allez plus cesser de fréquenter. L’Europe a fait l’objet d’auscultations périodiques, en 1985, puis aux lendemains de l’éclatement de l’URSS et de la réunification allemande. Les Rencontres ont joué un rôle capital pour jeter un pont entre l’Est et l’Ouest, donnant aussi bien la parole à des Russes émigrés d’avant la Révolution, comme Nicolas Berdiaev ou Wladimir Weidlé, qu’aux intellectuels polonais comme Leszek Kołakowski ou aux dissidents des années 1980, de même qu’aux représentants du marxisme officiel. La proximité de Bronisław Baczko, la présence au comité de Georges Nivat, qui vous a succédé à la présidence, tout prouve l’attention constante que les Rencontres ont portée au décloisonnement de l’Europe de l’Est et à l’évolution du monde russe.

«Rencontres»: il faut prendre le mot dans son sens le plus fort. Il ne s’agit pas de colloques ordinaires, comme Pontigny, Royaumont, Cerisy, auxquels elles font cependant penser, mais de rencontres qui duraient au début une bonne semaine, avec concerts, expositions, théâtre, tables rondes, discussions informelles à côté de conférences publiques. L’audience dépassait largement Genève. Elles étaient le noyau d’une constellation qui, à partir du comité d’organisation – qui rassemblait lui-même les compétences les plus variées –, atteignait par le relais des radios et de la presse la France, l’Allemagne, l’Italie. Les Rencontres n’étaient pas seulement internationales, mais interdisciplinaires. La liste des participants que vous avez su réunir ne donnerait pas seulement un annuaire de l’intelligentsia européenne; elle montrerait le glissement progressif de la participation prioritaire des écrivains et des philosophes (Benda, Mounier, Ortega y Gasset, Mircea Eliade) aux universitaires issus des sciences humaines et sociales, puis aux experts de la société et de l’économie. Un véritable reflet d’époque qui mériterait une étude approfondie car rien ne serait plus instructif sur l’évolution de l’Europe, sur les transformations du monde, que l’analyse attentive et systématique des Actes publiés longtemps par les Editions de la Baconnière, puis par L’Age d’homme.

Ces Rencontres sont une institution puissamment originale qui manifeste Genève dans son esprit public, sa tradition de curiosité intellectuelle et son indépendance d’esprit. Mais elles sont aussi et surtout l’image d’un humanisme européen qui est aussi et surtout, mon cher Jean, le vôtre; qui est même votre signe distinctif et la marque de votre personnalité. […]

Pierre Nora, de l’Académie française, Eloge de Jean Starobinski, Genève, 5 mai 2010, Victoria Hall, Prix de la Fondation pour Genève 2010
Texte publié dans : J. St., Notre seul, notre unique jardin, Genève, éditions Zoé, coll. MiniZoé, 2011

Retrouvez également le très beau dossier de la Revue Europe (avril 2019) consacré à Jean Starobinski et à Jean-Pierre Richard : www.europe-revue.net

24-27 septembre 2018 : Exils et refuges

Devant la cité lémanique — jadis ville du refuge huguenot et aujourd’hui siège du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés — la 51e session des Rencontres internationales de Genève revient sur notre monde épuisé. Celui que blessent les exils et les refuges des femmes, des hommes et des enfants qui fuient la misère, la précarité sanitaire, les guerres, la violence politique, les atteintes aux droits de l’Homme, le nettoyage ethnique et le dérèglement climatique. Les attendent l’administration et la police des camps et des centres de rétention que clôturent — parfois dès la frontière — les murs barbelés et électrifiés pour intimider les flux de l’exil. Tentes, baraques, caravanes, containers, immeubles ruinés, friches industrielles, abris militaires : du campement précaire au cantonnement solide pour humains déplacés, les abris du déracinement se muent en « camps-villes ». Les ghettos du malheur planétaire génèrent la générosité des associations humanitaires, mais aussi le populisme et la xénophobie des enracinés que panique le « débordement » migratoire et identitaire.

À la fin 2016 — dont en leur pays — plus de 65 millions d’humains sont recensés comme déplacés contre leur gré (HCR), soit le chiffre de la population française. Nombre inouï de l’exil forcé pour 20 personnes chaque minute ! Parmi eux — meurtris par le malheur individuel et collectif — 22.5 millions de réfugiés appauvris ont gagné l’étranger. Entre le tombeau abyssal de la Méditerranée, les circuits maffieux du trafic d’êtres humains et le durcissement universel des lois nationales contre les étrangers, la « nation des exilés » constitue en 2018 le 21 pays du monde — avant le Royaume-Uni ou l’Afrique du Sud.

En 2016 et 2017, les RIG accueillent des écrivains prestigieux pour évoquer la force de l’imagination et de la littérature face au recul de l’humanisme. En septembre 2018, nos invités repenseront les réalités sociales, démographiques, culturelles et anthropologiques du « nomadisme forcé ». Mobilisé par les « exils et les refuges » comme creuset du multiculturel, l’État de droit est lié aux traditions égalitaires, juridiques et démocratiques de la solidarité et de la fraternité issues des Lumières. Sur notre horizon d’attente : la nouvelle utopie du cosmopolitisme bienveillant dans la « mondialisation humaine ».

Michel Porret
Président des Rencontres internationales de Genève

Retrouvez le programme complet ici !

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Affiche RIG 2018
« Exils et refuges »
Dessin ©Javier de Isusi (Bande-dessinée « Asylum »)
Graphisme : Chris Gautschi

Retrouvez les vidéos et photos des conférences 2017

A l’occasion de leur 50e session, les Rencontres internationales de Genève ont eu l’honneur d’accueillir Alberto Manguel et Bahiyyih Nakhjavani pour parler du pouvoir de la littérature !

Retrouvez les vidéos des conférences  :

26 septembre / Alberto Manguel – « La méthode de Schéhérazade ou les pouvoirs de la fiction »

27 septembre / Alberto Manguel et Bahiyyih Nakhjavani – « Regards croisés »

 

Retrouvez les photos des 50e RIG : 

26 septembre / Conférence par Alberto Manguel, avec Patrizia Lombardo

27 septembre / Projection du film « Le manuscrit de Saragosse » au Grütli, avec François Rosset

27 septembre / Rencontre entre Alberto Manguel et deux classes de collégiens

27 septembre / Regards croisés entre Alberto Manguel et Bahiyyih Nakhjavani, avec David Collin

Photos : Lucas Zibung

26-27 septembre 2017 : Résister, écrire, imaginer

 « Personne ne peut écrire un livre. Pour
Qu’un livre existe véritablement
Il faut l’aurore et le couchant, des siècles
Des exploits, la mer qui sépare et qui unit. »

Jorge Luis Borges, « L’Arioste et les Arabes », L’auteur et autres textes [El Hacedor, 1960], Paris, Gallimard, La Croix du Sud, 1964 (p. 108) — traduit de l’espagnol par Roger Caillois.

Au nom de la cité, la cinquantième session des Rencontres internationales de Genève fondées en 1946 a l’immense honneur d’accueillir Alberto Manguel, citoyen canadien né en Argentine, infatigable lecteur, écrivain, traducteur, voyageur, bouquineur, et aujourd’hui directeur de la prestigieuse et borgésienne Biblioteca Nacional Mariano Moreno de la République d’Argentine à Buenos Aires.

Auteur notamment du monumental best-seller Une histoire de la lecture (1998), couronné dans de nombreux pays par une vingtaine de prestigieuses distinctions pour son travail d’humaniste au regard érudit et icarien sur les livres, les littératures et les cultures, Alberto Manguel a publié une œuvre prépondérante (fiction, critique, anthologies) dont près de trente ouvrages traduits en français.

À Genève, il dialoguera avec une complice intellectuelle Bahiyyih Nakhjavani, femme de lettres baha’i de nationalité britannique, née en Iran, ayant grandi en Ouganda, auteure notamment de La femme qui lisait trop (2007), La fleur du Mandarin (2009), Eux & Nous (2016).

Avec la littérature, Alberto Manguel tutoie la sagesse qui nous est impartie et permet de sentir, lorsque cela est impératif, que Dieu même n’est pas irréprochable. Fasciné par le potentiel libérateur des lieux imaginaires et des mondes d’utopie comme miroir déformant du monde réel dans une quête littéraire du bien, l’auteur de Chez Borges, La bibliothèque de Robinson, La fiancée de Frankenstein, La Bibliothèque la nuit, ou encore Stevenson sous les palmiers sait bien comment s’entrelacent intimement les puissances cognitives et imaginaires de l’écriture, de la résistance et de l’imagination dans les innovations mais aussi les pèlerinages littéraires et les retours inventifs sur les œuvres matricielles et mineures du patrimoine culturel de l’humanité.

Face au mal toujours recommencé, la fragilité matérielle des livres, leur potentialité à être fanatiquement censurés, lacérés et brûlés — atrocement dans les périodes les plus obscurantistes de l’Histoire — en font nos alliés et nos interlocuteurs privilégiés, afin que l’espoir l’emporte sur la désespérance grâce à la puissance insurrectionnelle de l’imagination créatrice selon René Char. Bien souvent, Alberto Manguel dialogue avec Cervantès car le « livre dépeint les pensées, découvre les imaginations, répond aux questions tacites, éclaircit les doutes, conclut les raisonnements, bref, il révèle jusqu’aux atomes que pourrait souhaiter le plus curieux désir » (Don Quichotte, 1605, II, xl, nouvelle traduction, J.R. Fanlo, 2008).

En écho à la session de 2016 — Fictions. Penser le monde par la littérature avec Boualem Sansal, Petros Markaris, Erri De Luca et Kim Thuy — notre rencontre de septembre 2017 avec Alberto Manguel, qui revient sur les pouvoirs de l’imagination et de la réalité de la littérature en temps de crise fictive ou réelle, mène à notre rendez-vous de 2018 : « Exils et refuges ».

À l’instar des vrais livres qui de nuit chuchotent entre eux dans les bibliothèques publiques et privées, les mots tenteront alors de donner du sens aux réalités démographiques, humaines, politiques, culturelles et morales du déracinement, dont le cosmopolitisme culturel est une forme bénéfique. Pourtant, avec l’intolérable paysage méditerranéen comme tombeau abyssal des naufrages répétés sur fond de guerres et de terrorisme, l’intensité et la dimension du déracinement contemporain reconfigurent déjà la réalité sociale et l’imaginaire de notre géopolitique. Entre repli apeuré et accueil fraternel dans la cité assiégée ou apaisée.

Michel Porret
Président des Rencontres internationales de Genève

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