26-27 septembre 2017 : Résister, écrire, imaginer

 « Personne ne peut écrire un livre. Pour
Qu’un livre existe véritablement
Il faut l’aurore et le couchant, des siècles
Des exploits, la mer qui sépare et qui unit. »

Jorge Luis Borges, « L’Arioste et les Arabes », L’auteur et autres textes [El Hacedor, 1960], Paris, Gallimard, La Croix du Sud, 1964 (p. 108) — traduit de l’espagnol par Roger Caillois.

Au nom de la cité, la cinquantième session des Rencontres internationales de Genève fondées en 1946 a l’immense honneur d’accueillir Alberto Manguel, citoyen canadien né en Argentine, infatigable lecteur, écrivain, traducteur, voyageur, bouquineur, et aujourd’hui directeur de la prestigieuse et borgésienne Biblioteca Nacional Mariano Moreno de la République d’Argentine à Buenos Aires.

Auteur notamment du monumental best-seller Une histoire de la lecture (1998), couronné dans de nombreux pays par une vingtaine de prestigieuses distinctions pour son travail d’humaniste au regard érudit et icarien sur les livres, les littératures et les cultures, Alberto Manguel a publié une œuvre prépondérante (fiction, critique, anthologies) dont près de trente ouvrages traduits en français.

À Genève, il dialoguera avec une complice intellectuelle Bahiyyih Nakhjavani, femme de lettres baha’i de nationalité britannique, née en Iran, ayant grandi en Ouganda, auteure notamment de La femme qui lisait trop (2007), La fleur du Mandarin (2009), Eux & Nous (2016).

Avec la littérature, Alberto Manguel tutoie la sagesse qui nous est impartie et permet de sentir, lorsque cela est impératif, que Dieu même n’est pas irréprochable. Fasciné par le potentiel libérateur des lieux imaginaires et des mondes d’utopie comme miroir déformant du monde réel dans une quête littéraire du bien, l’auteur de Chez Borges, La bibliothèque de Robinson, La fiancée de Frankenstein, La Bibliothèque la nuit, ou encore Stevenson sous les palmiers sait bien comment s’entrelacent intimement les puissances cognitives et imaginaires de l’écriture, de la résistance et de l’imagination dans les innovations mais aussi les pèlerinages littéraires et les retours inventifs sur les œuvres matricielles et mineures du patrimoine culturel de l’humanité.

Face au mal toujours recommencé, la fragilité matérielle des livres, leur potentialité à être fanatiquement censurés, lacérés et brûlés — atrocement dans les périodes les plus obscurantistes de l’Histoire — en font nos alliés et nos interlocuteurs privilégiés, afin que l’espoir l’emporte sur la désespérance grâce à la puissance insurrectionnelle de l’imagination créatrice selon René Char. Bien souvent, Alberto Manguel dialogue avec Cervantès car le « livre dépeint les pensées, découvre les imaginations, répond aux questions tacites, éclaircit les doutes, conclut les raisonnements, bref, il révèle jusqu’aux atomes que pourrait souhaiter le plus curieux désir » (Don Quichotte, 1605, II, xl, nouvelle traduction, J.R. Fanlo, 2008).

En écho à la session de 2016 — Fictions. Penser le monde par la littérature avec Boualem Sansal, Petros Markaris, Erri De Luca et Kim Thuy — notre rencontre de septembre 2017 avec Alberto Manguel, qui revient sur les pouvoirs de l’imagination et de la réalité de la littérature en temps de crise fictive ou réelle, mène à notre rendez-vous de 2018 : « Exils et refuges ».

À l’instar des vrais livres qui de nuit chuchotent entre eux dans les bibliothèques publiques et privées, les mots tenteront alors de donner du sens aux réalités démographiques, humaines, politiques, culturelles et morales du déracinement, dont le cosmopolitisme culturel est une forme bénéfique. Pourtant, avec l’intolérable paysage méditerranéen comme tombeau abyssal des naufrages répétés sur fond de guerres et de terrorisme, l’intensité et la dimension du déracinement contemporain reconfigurent déjà la réalité sociale et l’imaginaire de notre géopolitique. Entre repli apeuré et accueil fraternel dans la cité assiégée ou apaisée.

Michel Porret
Président des Rencontres internationales de Genève

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